mercredi 18 mars 2015

Les Allemands à Fourdrain

Les allemands occupent Fourdrain

On ne peut ignorer que, lors des 2 guerres mondiales, les allemands ont été présents à Fourdrain et plus particulièrement en 1914-1918.
Début 1914, les fourdrinois voient les allemands envahir le village pour s'y installer pendant plus de 4 ans. Situé à quelques kilomètres derrière le front du Chemin des dames et du soissonnais, Fourdrain sert alors de village de repos. Il abrite également un hôpital militaire.

De nombreuses inscriptions témoignent de leur passage. Dans la grange de Linette et René, on peut encore voir l'emplacement du projecteur de cinéma et le mot "Soldatenkino" qui témoigne de l'utilisation que les soldats allemands faisaient de ce bâtiment.
Chez Man Dette, je crois qu'il y avait une cantine. Les allemands ont occupé une partie des maisons et y ont laissé des traces de leur passage qui a duré jusqu'en octobre 1918.




Carte allemande intitulée "Laonerstrasse"
Rue ou plutôt route de Laon


Les allemands dans la Grande rue à Fourdrain
Ils appellent cette rue "Dorfstrasse", littéralement "rue du village"


Photo allemande prise dans la "Dorfstrasse"
On y distingue le clocher de l'église et l'école
qui sera détruite par une mine en 1918


Photo de l'église prise par les allemands


Man Dette me racontait souvent des histoires de guerre et quand elle oubliait de le faire, je lui en réclamais. J'adorais ça. Sans doute parce qu'elles étaient chargées d'émotion et qu'elles mettaient en scène des ennemis honnis qui avaient envahi et terrorisé notre pays. Je pense que c'est à Fourdrain que mon vocabulaire s'est considérablement enrichi de mots qui qualifiaient les allemands tels que : les boches, les doryphores, les fritz, les fridolins, les chleuhs, les verts-de-gris...
Heureusement, aujourd'hui, on ne les appelle plus ainsi, on a tourné la page, on est en Europe! Quoique...
Je nourrissais donc mon esprit et mon imaginaire de toutes ces histoires et je ne manquais jamais de me mettre en scène, héros invincible terrassant des hordes aux casques pointus!
La guerre est "un jeu" exaltant pour un gamin. 
Je prenais des risques...imaginaires et, le soir, je me couchais bien sagement, sans la moindre blessure, au chaud, sous le gros, l'énorme édredon de mon lit.
Mais, ce n'était pas que des histoires, les allemands ont bel et bien occupé Fourdrain.




Villageois et occupants


Les allemands, en 1914, dans la grande maison appartenant à "tante Aline"
(selon photo L. Gruel)


La maison de "tante Aline" en 1918




La même maison dans les années 20
Elle a été remise en état et transformée en hôtel
(Hôtel du Parc - Maison Desseaux)


Soldats devant une maison en août 1917


Soldats rue d'enfer le 9/05/1917
Pencarte : 8 gruppe, III zug, MWK 246


Soldats à Fourdrain le 01/10/1917


Soldats sur la place devant la "Feldbuchhandlung" le 01/09/1918
la "librairie militaire"


Soldats rue d'enfer le 01/09/1918
inscription "zum soldatenheim"sur la 1ère maison à droite
qui signifie "vers le foyer du soldat"



La rue d'enfer rebaptisée "Minenwerferstrasse"
La "rue du lanceur de mines"


 "Grosse Bertha" ou "Parisener Kanone"?
   De mars à août 1918

Man Dette me disait souvent qu'elle avait le souvenir du fracas occasionné par les tirs de 
"La grosse Bertha" sur Paris. Elle me montrait des cartes postales qui représentaient l'emplacement du canon installé à proximité de Crépy et m'expliquait que cet endroit existait toujours. 
Mais que s'est-il réellement passé et où se trouvait le canon qui tirait sur Paris?

C'est ce que précise Alain Huyon dans un article intitulé "La Grosse Bertha des Parisiens

Historique d’une arme de légende" paru à l'occasion d'une exposition organisée à Laon.
De mars à août 1918, l’armée allemande prit pour objectif l’agglomération parisienne à 120km des positions de tir, avec au moins trois canons d’une taille jamais vue : 750 tonnes, tube de 34m de long, mais d’un calibre relativement modeste : 210 à 240mm. Ces pièces furent surnommées Grosse Bertha par les Parisiens. Les Allemands désignant de leur côté, sous le même vocable, un canon différent (très gros calibre, très courte portée) ; une polémique s’est engagée dès la fin de la guerre, qui perdure aujourd’hui, renforcée par le fait que tous les matériels et tous les documents ont été détruits avant l’entrée des alliés en Allemagne. La réalisation même de ces engins a été mise en doute par certains auteurs bien que les documents officiels français et les témoignages des deux parties prouvent leur existence et leur efficacité. En revanche le but réel de l’opération créer une psychose au sein de la population, de manière à influer sur la conduite de la guerre et amener le gouvernement français à la capitulation, n’a pas été atteint.

Pendant longtemps, le terme "Grosse Bertha", usité en France, sèmera la confusion, d’ailleurs entretenue par les Allemands eux-mêmes. C’est pourquoi nous lui préférerons, dans la suite de cette étude, l’appellation originale : "Parisener Kanone" .  




Un canon en fabrication chez Krupp





Caractéristiques du Parisener Kanone et de ses projectiles
Comme déjà dit, ce matériel a été construit par Krupp à Essen, pour les premiers exemplaires, puis par Skoda à Pilsen (Plzen en tchèque) alors dans l’Empire austro-hongrois. Il présentait des caractéristiques hors du commun :

Celui de la pièce de marine SKL/45 Max précitée.
-                       longueur du tube : 34 m, constitué de deux parties d’égale longueur vissées l’une à l’autre : un tube rayé classique, d’un calibre initial de 380 mm chemisé à 210 mm et prolongé par un tube lisse du même calibre de 210 mm, haubané pour éviter le fléchissement ;

chambre de tir : 5 m de long ;
diamètre extérieur au tonnerre : l m environ, l’épaisseur annulaire du tube atteignant à cet endroit 40 cm à peu près ;
poids total : 750 t dont 175 pour le tube ;
poids maximum du projectile : 125 kg ;
poids de la charge explosive : 8 à 10 kg ;
poids de la charge propulsive : 150 à 200 kg (selon la distance de Paris) ;
vitesse initiale du projectile : 1 500 à 1 600 m/s ;
mise à feu électrique.
Compte tenu de l’arrachement de métal provoqué par les obus, ceux-ci présentaient des dimensions allant en croissant :
calibre de 210 à 235 ou 240 mm (l’obus proprement dit était le même mais l’épaisseur des ceintures augmentait pour « rattraper » l’usure du tube) ;
longueur de 90 cm environ.
Les obus étaient numérotés de 1 à 65 ; au bout de 65 coups, le tube devait être remplacé. Sept tubes ont été construits. Des auteurs donnent des renseignements différents qui ne sont justifiés par aucun témoignage : longueur du tube : 30 ou 40 m ; poids de l’obus : plus de 400 kg ; vitesse initiale 2 000 m/s.

Le Parisener Kanone n’était pas une pièce sur voie ferrée mais elle ne pouvait être transportée que par ce moyen. Le tube reposait classiquement par des tourillons sur une poutre, dite « balancier », portée par deux boggies de cinq essieux à l’avant, deux boggies de quatre essieux à l’arrière, soit 18 essieux. L’affût-truck et les wagons transportant le matériel annexe (de manutention en particulier) et le personnel constituaient un train complet (plusieurs photos parues dans des journaux présentent à tort des pièces à longue portée sur voie ferrée classiques comme des Grosses Berthas).

Caractéristiques du tir :
angle de tir : 50 à 52 ;
flèche de la trajectoire : 40 km environ ;

durée du trajet : de 3 à 3,5 mn ;
estimation. Il semble qu’aucun tir n’ait dépassé 126 km (aux essais, en Allemagne).
 portée maximum : 130 km ;

 cadence maximum : 1 coup toutes les 15 mn environ.

Aménagement des positions de tir 
L’affût de tir, différent de l’affût de transport ferroviaire (d’où des travaux de manutention considérables) reposait sur une plate-forme fixe à l’origine, pivotante par la suite. Deux types d’embases ont été utilisés : d’une part, une embase en béton de 12 m² et 4 m d’épaisseur, coulée dans une excavation de même profondeur ; d’autre part, une plate-forme métallique, très proche de celles recevant les canons de 380 mm, reposant sur un sol évidemment préparé, durci même, mais non bétonné. Cette forme d’installation autorisait un déplacement du tir en direction.
Guy François avance que, dès 1917, deux plates-formes métalliques destinées à des pièces de 380 avaient été réservées pour le Parisener Kanone. C’était pourtant une embase bétonnée que les Allemands avaient d’abord établie à Crépy, et même deux, comme le confirma tardivement (20 juin 1918) un officier allemand prisonnier : « Il a vu deux pièces sur des casemates bétonnées dans une clairière [le champ de l’Anchette, voir ci-après] près de La Fère [9 km], chacune disposant de deux tubes de rechange

Personnel de mise en œuvre
S’agissant à l’origine d’une pièce de marine, et celle-ci ayant déjà l’expérience des gros calibres et des très longues portées, la mise en œuvre du Parisener Kanone a été confiée à l’artillerie navale. Le premier site, celui du mont de Joie, le seul sur lequel les sources allemandes donnent des détails, était placé sous le commandement du contre-amiral Rogge, les troupes étant aux ordres du capitaine de corvette Werner Kurt. Aucun renseignement écrit ne nous est parvenu sur l’effectif du personnel nécessaire à la mise en œuvre d’une pièce mais l’une des très rares photos qui a survécu à l’opération nous permet de compter une soixantaine d’hommes posant pour l’objectif, parmi lesquels figure peut-être le personnel logistique : il fallait bien se nourrir sur le site. Nous savons, d’autre part, qu’au début des travaux préparatoires (printemps 1917) « plusieurs unités de spécialistes et d’auxiliaires étaient affectées à cette tâche »



Le mont de Joie
Historiens, journalistes et romanciers (car il faut bien nommer ainsi des auteurs à l’imagination prolifique !) se sont attachés aux caractéristiques des engins et à l’analyse des tirs. Aucun ne s’est penché sur le mont de Joie, premier site du Parisener Kanone et le seul dont l’utilisation soit connue avec quelque précision. Coincé entre la N 44 (de Cambrai à Châlons-en-Champagne) et la voie ferrée de Calais à Dijon, toutes deux dans leur section La Fère – Laon, le mont de Joie domine la plaine du Laonnois à l’instar d’autres buttes-témoins de la région ; son point central se trouve à 2,5 km au nord-ouest et sur le terroir de Crépy-en-Laonnois, 1 km au nord-est de Fourdrain et 3 km au sud-est de Couvron.


Le mont de Joie est entièrement boisé et entouré de bois, mais c’est du côté de la voie ferrée que cette couronne forestière est la plus étroite, 125 m quand même, le reste de l’espace étant constitué de broussailles. Il est aujourd’hui occupé pour l’essentiel, et en particulier le plateau, par un dépôt de munitions de l’armée de l’Air forcément très protégé (clôture électrique, couloir à chiens en liberté…) dont la zone périphérique de sécurité se prolonge à l’est jusqu’à la D 26 de Crépy à Couvron. Dans sa partie nord, il est partagé entre deux propriétés privées, également inaccessibles. Noter, accessoirement, que le mont de Joie est côtoyé par le bois des Apôtres et le mont Plaisir. Les caractéristiques physiques du mont de Joie, en particulier son altitude par rapport à la voie ferrée et l’importance de la déclivité, excluent l’installation d’une pièce sur le plateau. Croire que l’on a pu faire escalader par une voie ferrée les pentes du mont de Joie, même les moins accentuées, est une aberration. Penser seulement que les Allemands ont pris le risque et usé leur énergie à hisser une pièce sur le plateau est déraisonnable. La « simple » mise en batterie, en rase campagne, d’une pièce dont le tube pesait de l’ordre de 175 t et l’affût 575 t, a nécessité des manœuvres de forces prodigieuses. La même opération réalisée sur le plateau se serait apparentée au miracle. Et dans quel but ? Un gain d’altitude d’une centaine de mètres est insignifiant par rapport à la flèche de la trajectoire, de l’ordre de 40 km. De plus, la position des installations sur ce promontoire qui jaillit des contreforts nord du massif de Saint-Gobain aurait facilité le repérage aérien. Au contraire, le mont de Joie constituait un masque partiel pour les pièces tapies au pied nord.

Ces considérations n’empêchent pas L’Illustration de présenter une batterie de trois pièces dont une est établie sur le mont de Joie, les autres en contrebas, chacune desservie par un épi particulier ! Le même journal se rachète un mois plus tard en présentant, plus sérieusement, une photo aérienne montrant deux emplacements de batterie : aucun n’est établi sur le plateau mais aux angles nord et sud d’un champ en forme de losange situé à l’est du mont de Joie, dont ils effleurent tout juste la base, et desservis par un épi unique. Reste le témoignage d’Eisgruber (op.cit.) qui dit de la position : « Elle a été choisie au bord d’un ravin près du village de Couvron. » Ravin suppose évidemment une position dominante et il n’y a de ravin dans le secteur que celui qui cerne le mont de Joie. Mais le narrateur ajoute : « Sur l’un des versants se trouve l’emplacement de pièce (…). Sur l’autre penchant du ravin, cachés par les arbres, sont les baraquements. » En fait – il y a peut-être là une impropriété due à la traduction – il faut entendre par « ravin » l’un des très modestes thalwegs qui échancrent la base du mont.


Il en ressort qu’il ne faut pas prendre l’identité de la butte au pied de la lettre, mais y voir seulement le point le plus remarquable d’un secteur plus vaste. Pourtant, toutes les parcelles qui l’entourent portent un nom ; ainsi le champ en losange précité est identifié : l’Anchette, comme aussi les bois qui le séparent de la voie ferrée : le bois de Boule, le champ du Roi, le bois des Pontoises, le bois de l’Épine. Le champ de l’Anchette est, lui, parfaitement accessible.

Une troisième pièce a-t-elle été établie sur plate-forme métallique à cheval sur la voie principale ou sur un épi ? C’est probable, bien qu’aucune photo aérienne ni aucun témoignage ne le prouve. Aulard (qui se trompe de 500 m sur la position d’une des deux premières) situe ce troisième canon dans le bois de l’Épine, relié par un épi directement à la gare de Crépy-Couvron. Cette version présente un double inconvénient : l’épi traverse un espace agricole complètement découvert et traverse aussi la D 26. Cette situation pouvait difficilement échapper aux observations aériennes, humaines ou photographiques. Pourtant, un prisonnier polonais de l’armée allemande (4 juillet) mentionne, lui aussi, « qu’un épi traversant la route de Crépy, prenant à 100 m avant la gare de Crépy [en venant de Laon], conduit à des installations dans un bois à 3 ou 400 m de là. Il y a passé plusieurs nuits dans de vastes galeries souterraines pouvant abriter tout un régiment ». Le bois de l’Épine recèle effectivement des abris, qui figurent encore sur les cartes. Mais ce témoin ne dit pas avoir vu un canon dans ce bois. Ce témoignage est apparemment en contradiction avec la photo aérienne qui montre que l’épi ferroviaire desservant les deux pièces traverse un chemin, tangent au champ de l’Anchette, mais pas la D 26, plus à l’est. À moins qu’un autre épi, celui dont parlerait alors le Polonais, ait été construit antérieurement pour desservir le canon Max de 380 mm dont la plate-forme subsiste et qui n’était plus utilisé en 1918 car sans doute repéré. L’installation d’une pièce sur la voie principale, comme l’envisage Poirier 15 est plausible. En effet, en septembre et octobre 1916, les Allemands ont porté à écartement normal et considérablement renforcé la voie ferrée secondaire, jusque-là métrique, qui reliait Dercy à Versigny (respectivement 16 km nord et 16 km nord-ouest de Laon) permettant ainsi aux nombreux trains militaires d’éviter la gare de Laon, qui ne se trouvait alors qu’à 18 km des lignes françaises.

La voie principale devenait ainsi disponible et, entre Crépy-Couvron et Versigny, elle traverse plusieurs zones boisées importantes, ce qui rendait inutile le camouflage de l’installation par des arbres plantés dans des caisses, la pièce et les dits arbres étant retirés au passage d’un convoi, toujours selon Poirier. Quel travail ! Et au passage de quels convois puisque la ligne n’était plus utilisée ? Et où remisait-on la pièce pendant ce temps ? Tout ceci est utopique.



Les allemands posent après l'installation du canon


Campagnes de tir
Trois campagnes de tir peuvent être déterminées : du 23 mars au 3 mai ; du 27 mai au 11 juin ; du 15 juillet jusqu’à une date qui reste incertaine (vers le 15 août) (contradiction entre Eisgruber, Poirier et témoignages des habitants de la vallée de la Serre). De son côté, le cabinet du ministre de la Guerre écrivait le 6 août que « depuis hier, le canon tirant sur Paris a repris ses tirs », ce qui indique qu’une nouvelle interruption s’était produite après le 18 juillet, correspondant au déplacement de la pièce de Bruyères-sur-Fère à Beaumont-en-Beine, et qu’aucune autre pièce n’était alors en état de fonctionner. Les sources sont d’accord sur la date du premier tir (qui se serait déroulé en présence du professeur Rausenberger : 23 mars, et à peu près sur l’heure : entre 7h09 et 7h17. Dès le premier jour, les tirs se poursuivirent de quart d’heure en quart d’heure, ou à peu près, jusqu’à 14 heures ; le tir cessa alors à cause du soleil qui perçait, rendant les observations aériennes possibles. Le premier obus est tombé à Paris entre 7h12 et 7h20 ; les sources consultées ne sont pas d’accord sur la situation de l’impact mais c’est peu important. Dès le premier jour, à 15 heures, le ministère français de la Guerre communiquait à la presse que les tirs avaient causé une dizaine de morts et une quinzaine de blessés.




Pour éviter le repérage des pièces, que ce fût par les SRS (sections de repérage par le son) ou par l’observation aérienne, les Allemands avaient organisé une véritable mise en scène. Plusieurs batteries de 170 et 210 mm, situées à proximité du front dans le plan de la trajectoire, avaient tiré simultanément tandis que dix escadrilles déployaient une activité soutenue dans les mêmes zones, établissant un rideau en avant de la forêt de Saint-Gobain. Le même officier prisonnier déjà cité révèle : « Dans le voisinage immédiat [des Parisener Kanonen], quatre pièces de 38 cm [des Max] tiraient en même temps, les six pièces étant placées sous le même commandement.» Deux autres prisonniers le confirment : ils ont assisté, dont l’un à plusieurs reprises, au tir de deux de ces pièces destinées à saturer l’environnement sonore ; elles étaient embossées sur des épis « dans un bois à l’ouest de Couvron  [dit de la Queue de Monceau] ; elles n’en sortaient que pour tirer et y retournaient aussitôt après ; elles tiraient en même temps que les Parisener Kanonen et seulement en même temps ». Le 2e bureau du GAR fit état tardivement (10septembre) d’une de ces pièces repérée fin août, qu’il croyait être celle qui tirait sur Paris (il n’y a pas d’ambiguïté sur la nature de cette pièce : « dans le bois ouest de Couvron, à 10 km de Crécy-sur-Serre », donc la Queue de Monceau). Le lendemain 24 mars, les tirs reprirent dans les mêmes conditions que la veille, bien que la batterie n’eût aucun renseignement sur les résultats de la journée précédente. Ce fut seulement vers 13h00 qu’un appel téléphonique de l’état-major suprême annonça la réussite de l’opération : les journaux parisiens du matin rendaient compte des impacts de la veille et de leurs effets. Dès le troisième jour, le retour de ces informations jusqu’à la batterie ne prenait plus que quatre heures, grâce à deux « taupes » allemandes en poste à Paris qui téléphonaient les renseignements à un correspondant de Morteau d’où ils étaient portés à Schaffhouse, en Suisse (Eisgrube). Les tirs se poursuivirent ainsi jusqu’au 3 mai, quelquefois espacés de seulement cinq minutes, ce qui laisse supposer que trois pièces étaient en batterie, entrecoupés par les tirs de contrebatterie de l’artillerie française. Le 3 mai (et non le 25 mars comme l’avance un ouvrage récent), une pièce fut détruite par l’éclatement d’un obus dans son tube, et pas par l’artillerie française comme rapporté par plusieurs. Les récits de Kinzel et Eisgruber, auteurs allemands et forcément apologétiques, pourraient passer cet événement sous silence mais ils le reconnaissent : « Un éclatement de tube s’étant produit une fois, le redressement du tube fut toujours, par la suite, contrôlé immédiatement avant le chargement. »Un prisonnier allemand le confirme, qui situe parfaitement les deux Parisener Kanonen, qui les a vus, et dit : « Un seul était en état de tirer, le tube de l’autre était éclaté.» (20 juin).

Cet accident qui provoqua peut-être des pertes de personnel, en dépit des abris enterrés, fut également confirmé par les habitants de Crécy-sur-Serre, bien placés pour en ressentir les effets et qui, en dépit du secret qui entourait toute l’opération Parisener Kanone, avaient forcément des relations avec quelques Allemands. Des vérifications approfondies de la pièce survivante s’imposant, les Parisiens vécurent trois semaines de calme. Le 27 mai, les tirs reprirent et se poursuivirent jusqu’au 11 juin, avec une seule pièce (selon Poirier et Eisgruber). Nouvelle interruption à partir du 12 juin.Le 27 mai, les Allemands ont repris leur offensive générale, d’abord réussie, vers le sud et le sud-ouest ; dans le premier cas, elle les a menés jusqu’au sud de la Marne de Château-Thierry où ils se sont établis le 1er juin ; dans le second, ils ont occupé Chauny (à 11 km au sud-est de Beaumont-en-Beine) le 2 juin. Le commandement n’a pu prendre la décision de déplacer une pièce de Crépy-en-Valois vers Bruyères-sur-Fère que quand les positions y ont été consolidées. Ensuite, il a fallu trois semaines pour déposer la (ou une) pièce du mont de Joie, la charger sur un train, la déplacer via Laon, Soissons et Braine, et la remonter, cette fois sur une plate-forme métallique (rappel : 14 jours pour cette dernière opération à elle seule). Ce scénario expliquerait la deuxième séquence de silence, du 12 juin au 14 juillet. Mais il est en contradiction avec les témoignages des habitants de la vallée de la Serre qui affirmèrent que la pièce du mont de Joie avait tiré jusqu’au milieu de l’été ; c’est une date imprécise, bien sûr, mais qui ne peut être raisonnablement antérieure à fin juillet. Et ceci confirmerait le tir simultané de deux pièces dans la dernière période : celle de Crépy-en-Laonnois et une autre d’abord à Bruyères-sur-Fère puis à Beaumont-en-Beine. Dans ce cas, le deuxième entracte aurait une autre cause : nouvel incident technique, attente d’un nouveau tube venant d’Allemagne (la priorité ayant été donnée peut-être à la pièce de Bruyères-sur-Fère), site mis en sommeil du fait des actions de l’artillerie française. Ce qui nous amène au sujet suivant : les réactions de l’adversaire.

Bilan des tirs du Parisener Kanone
En 46 jours de tirs, 367 obus ont atteint la capitale et sa banlieue, selon la préfecture de police de Paris. Eisgruber n’en annonce que 320 ; un autre auteur : 400 obus tirés mais seulement 367 impacts. Que sont devenus les autres ? Si les dégâts matériels sont restés relativement limités, sauf à l’église Saint-Gervais dont il sera question ci-après, les pertes humaines n’ont rien d’insignifiant. Dès le premier jour de tirs (23 mars 1918), 18 obus sont tombés sur Paris et 4 sur la banlieue causant, selon le communiqué officiel qui reste imprécis, une dizaine de morts et une quinzaine de blessés. Le 29 mars, un seul obus toucha Paris, en l’occurrence l’église Saint-Gervais pendant l’office du Vendredi-Saint, crevant la toiture et la voûte et détruisant la moitié supérieure d’un pilier. Plusieurs renseignements contradictoires ont été publiés sur le nombre de victimes pendant et après la guerre. Tenons-nous donc au libellé du monument commémoratif élevé dans l’église même : 91 tués (dont 52 femmes) et 68 blessés. Au total, on a décompté 256 morts et 620 blessés. Une carte donnant l’emplacement des points d’impact a été publiée par L’Illustration dans son numéro du 4 janvier 1919.




Impacts de bombes tombées dans Paris en 1918


Bombe tombée sur le 353 rue de Vaugirard 15ème
(angle Vaugirard/Dombasle)


Eglise St Gervais-St Protais, 4ème, après le bombardement
du 29/03/1918 pendant l'office


Que reste-t-il du Parisener Kanone ?
La réponse est simple : rien, si ce n’est des souvenirs. Avant même la signature de l’Armistice du 11 novembre 1918, les Allemands avaient entrepris la destruction des pièces rapatriées, afin que nul canon ou élément de canon ne tombât entre les mains de l’ennemi et même qu’aucune trace de l’opération elle-même ne subsistât. Tous les matériels et toutes les archives ont été détruits. Le musée de l’Armée de Berlin présente une coupe de la volée du Wilhem-Geschütz, mais cette pièce, à l’évidence, n’a pas les dimensions reconnues au Parisener Kanone : la rondelle exposée peut avoir 80 cm de diamètre (ce qui correspondrait à l’extrémité du tube rayé) mais l’âme n’atteint pas 210 mm, il s’en faut. Le commandement allemand et la direction de Krupp ont soigneusement occulté tout ce qui se rapporte au terrible canon. Les renseignements obtenus après la guerre près des ingénieurs et ouvriers de Krupp ont été recueillis dans le secret. Néanmoins, deux ouvriers auraient été lourdement condamnés pour divulgation de secrets militaires.


Crépy en Laonnois un peu après octobre 1918






Crépy de nos jours

Il ne reste plus aujourd’hui que l’encuvement circulaire en béton de la position n°1.




Reste de l'encuvement en béton


A quelques mètres de l’encuvement on trouve deux blockhaus qui devaient
             servir d’abris pour les artilleurs ou de poste de commandement. 
Les munitions étaient acheminées par une voie ferrée.



Conclusions
Le pluriel s’impose car la solution n’est pas unique. Bien entendu, le lecteur intéressé sort insatisfait d’une jungle d’informations incertaines et contradictoires, dont seules celles provenant d’acteurs de l’opération sont considérées ici comme exactes. Essayons de trier.

Les sources. Tout laudatifs et apologétiques qu’ils soient, les récits de Kinzel, Kunsel et Eisgruber s’avèrent les plus sûrs. Les deux premiers ont participé directement à la conception de l’arme. Il est très probable qu’Einz Eisgruber ait appartenu à une des équipes de pièce ou alors il a publié les témoignages d’un autre officier. Jules Poirier, journaliste parisien, est surtout crédible pour ce qui s’est passé à Paris. Les autres auteurs des années 1920 n’ont pu exploiter les sources allemandes, publiées après l’édition de leurs ouvrages. C’est pourtant à ceux-là que se réfèrent des publications récentes (2000 et 2002) ignorant les récits allemands publiés entre 1926 et 1934. L’une est illustrée avec la photo d’une pièce sur voie ferrée qui n’est pas un Parisener Kanone.
Les faits : on peut les regrouper en quatre ensembles : ce qui est certain, ce qui est probable, ce qui reste hypothétique, ce qui est faux et qu’il faut rejeter sans hésitation.
Ce qui est certain. La philosophie et les prolégomènes de l’opération : la pièce Parisener Kanone, la Grosse Bertha des Parisiens, a été utilisée exclusivement contre Paris et son agglomération, ce pourquoi elle a été conçue et réalisée. De plus, elle n’avait pas pour but premier de détruire mais de paniquer la population : c’était une arme psychologique. L’histoire de sa gestation jusqu’aux essais, ses caractéristiques techniques, celles de ses projectiles, de ses positions de tir et des tirs, telles qu’elles sont exposées ci-dessus, ne sont plus contestables :
c’était une pièce d’un calibre relativement modeste (210 à 240 mm) en comparaison d'autres pièces à longue portée, et ce n’était pas une pièce sur voie ferrée ;
l’arme a été construite à sept exemplaires pour le tube et au moins trois exemplaires pour l’affût de tir ;
deux pièces au moins ont été établies à Crépy-en-Laonnois (mont de Joie) et ont été mises en œuvre simultanément (aucune sur le mont de Joie proprement dit, mais seulement au pied) ;
l’une des pièces a été détruite par un incident de tir, sur le site de mont de Joie ;
deux types d’embase ont été utilisés : une fixe en béton, une métallique démontable ;
trois sites de tir ont été aménagés, dont deux (Bruyères et Beaumont) ont reçu des plates-formes métalliques ;
tous les sites de tir sont situés dans le département de l’Aisne, à une distance maximum de 45 km de Laon et de 92 à 121 km de Notre-Dame de Paris ;
les points d’impact sont connus comme aussi le nombre de victimes.

Ce qui est probable. L’existence simultanée d’une troisième pièce à ou près de Crépy-en-Laonnois. Une au moins des pièces de Crépy-en-Laonnois a poursuivi ses tirs durant l’utilisation des autres sites.
Ce qui reste hypothétique. La position exacte de la troisième pièce de Crépy ; le nombre de tubes utilisés ; la raison du deuxième « entracte », du 11 juin au 15 juillet, et du troisième, entre une date indéterminée et le 5 août.
Ce qui est indubitablement erroné. L’existence d’une kyrielle de Parisener Kanonen ou Grosses Berthas tout le long de la ligne de front pendant la Première Guerre mondiale et la réapparition de certains en 1939. La mobilité du Parisener Kanone, pièce sur voie ferrée que l’on pouvait déplacer comme les autres pièces de ce type, dans des délais brefs. La destruction d’une pièce par bombardement d’artillerie ou aérien.

La vraie conclusion se situe à un autre niveau. D’abord l’opération Parisener Kanone se révèle comme une formidable prouesse scientifique et technique, qu’il s’agisse de la conception, de la réalisation du matériel, de la mise en batterie et de l’exécution des tirs. Il faut saluer la performance. Mais cette opération peut se définir aussi comme un échec stratégique lamentable. Tant de matière grise et de moyens matériels consommés sans résultat ! Le Parisener Kanone devait créer, au sein de la population de la capitale française, une psychose telle qu’elle aurait influencé les décisions du gouvernement sur la conduite de la guerre et l’aurait amené à la capitulation. L’objectif physique a été atteint, l’objectif final réel ne l’a pas été. Il en sera de même, vingt et quelques années plus tard, des bombardements allemands sur le Royaume-Uni et des bombardements alliés sur l’Allemagne. Loin de démoraliser la population, et en dépit des souffrances et des pertes humaines, ils ont seulement renforcé sa détermination à la lutte. Enfin, le troisième et dernier aspect de cette histoire est le caractère polémique qu’elle a pris et conservé, dû aux mystères qui subsistent. Certains n’y voient qu’un mythe pur et simple. D’autres admettent l’existence du Parisener Kanone mais doutent de sa mise en œuvre. Longtemps encore, ceux qui ont appris que le terme Bertha ne s’appliquait pas à un canon géant et ceux qui, de bonne foi, sont persuadés du contraire, se jetteront leur savoir au visage. N’en déplaise aux Allemands et aux puristes de tout bord, dans la mémoire collective des Français, et particulièrement des Parisiens, la Grosse Bertha restera cette pièce extraordinaire qui a bombardé la capitale pendant plus de cinq mois, en 1918, car c’est sous ce nom qu’elle est entrée dans la légende, comme le cheval de Troie.

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